居酒屋

Back alley

Dans l’imaginaire occidental, le Japonais est un être réservé, calme et en toute circonstances d’une politesse infaillible.

Dans le même registre, la cuisine nipponne est censée être un exemple de minimalisme et d’épuration. Seuls les ingrédient les plus nobles sont acceptables et le travail du chef se résume à rehausser leurs saveurs naturelles avec le minimum d’altération possible.

Je suis pas très friand de kaiseki, ma préférence se porte sur des plats moins raffinés mais bien plus nourissants comme les tonkotsu ramens.

Comme beaucoup de clichés, ces derniers ont leur part de vérité: le kaiseki—le plus haut registre de la cuisine japonaise—se rapproche beaucoup de cet idéal. Les mets utilisent un faible nombre d'ingrédients et une attention particulière est portée à leur présentation. L'acte de manger est transcendé et devient presque une expérience esthétique. On mange avec les yeux pour ainsi dire, ce qui aboutit bien souvent à garder l'estomac vide.

Quant à la politesse présuposée du peuple japonais, elle se vérifie au quotidien. Sans elle, Tokyo—une mégalopole peuplée de plus trente millions d'âmes—ne serait rien d'autre qu'un Pandémonium chaotique et bruyant. Au lieu de celà, on trouve une ville manquant certes d'espace mais où il est surprenamment facile de trouver des havres de paix dans lesquels un silence apaisant remplace l'agitation des artères principales.

Le problème avec ces clichés ne situe donc pas au niveau de leur véracité mais plutôt sur le fait qu'ils sont très caricaturaux. En simplifiant la réalité pour mieux la catégoriser ils omettent les nombreuses nuances qu'une culture peut présenter.

Composé des idéogrammes “exister”, “alcool” et ”échoppe“ la meilleure traduction pour izakaya reste probablement celle de taverne.

Pour voir les Japonais sous un autre jour alors, rien de mieux que de pénétrer au sein d'un izakaya. Ces “demeures d’alcool” ressemblent superficiellement à des bars. Mais leur ambience est grandement différente.

Fumée, chefs et beuveries se rassemblent dans un lieu exigu où les pressions du travail sont évacuées. Ici l’alcool coule à flot et la formalité prends son congé.

Contrairement à leurs équivalents occidentaux, ces établissements sont avant tout destinés à des groupes plutôt qu'à des individus et leurs agencements reflètent ces considérations; Des séparations claires divisent chaque table et il est difficile d'apercevoir les autres hôtes. On vient pour être avec nos collègues, qu'ils soient collègues de bureau ou d'un club de sport. Il n'est pas coutume d'interagir avec des gens hors de son cercle social.

Si ce dernier point reste bien proche des idées que l'on se fait des Nippons, leur comportement prend vite une autre tournure. Sous l’influence de la boisson, les cris sont non seulement acceptables, ils deviennent carrèment requis. Les rires gras des plus haut gradés se mélangent avec les glapissements sur-aigus des office ladies dans une cacophonie ensourdissante. Car oui, avoir une voix fine est considéré comme un attribut désirable, inutile alors de préciser que beaucoup en font un peu trop pour un résultat particulièrement douloureux pour les pauvres tympans des gaijins.

Même si l'éthanol reste le principal attrait de l'endroit, l'estomac n'en ait pas négligé pour autant. Au lieu d’être des exemples de haute cuisine par contre, les mets sont avant tout destinés à accompagner la bière; huileux, peu prétentieux et bon marché ils se mangent sans fioritures et avec les mains. Toujours dans le sens de l'esprit communautaire, ils sont destinés à être partagés avec toute la table et ne sont pas individuels.

Yakitori veut littéralement dire oiseau grillé, un détail qui me fait toujours sourir.

Ainsi brochettes, fritures et croquettes se succèdent au rythme des déglutitions de boisson. Les brochettes de poulet—ou yakitoris—occupent une place prépondérante dans le panthéon des plats typiquements servis au sein des izakayas. Si l'expression “dans le cochon tout est bon” s'applique dans beaucoup de pays européens, Au Japon on devrait remplacer le porc idiomatique par le gallinacé qui dresse le plus souvent dans nos assiettes. Dès lors on a la chance de pouvoir goûter à des merveilles comme les brochettes de cartilage grillé, moins exotiques mais tout aussi délicieuses les entrailles ne sont pas en reste. Pour finir en beauté on peut même terminer avec des sashimis de poulet, la meilleure manière pour le système immunitaire de prouver que les millions d'années d'évolution qu'il a encouru ont vraiment servi à quelque chose.

Ukon no chikara est l'une de ces fameuses potions magiques; traduit cela veut dire “le pouvoir du curcuma”. Espérons qu'il soit puissant…

Peu avant minuit, ces joyeux fêtards laissent la place à des tables vides à une vitesse que l'on aurait de la peine à soupçonner. Le dernier métro exerce un appel spatio-temporel que peu sont en mesure de résister. La masse de personnes se retrouve attirée vers la station la plus proche dans un cortège beaucoup moins ordonné que celui des pendulaires matinaux. Les retardataires et ceux que la boisson à terrassé seront forçés d'attendre jusqu'à l'aube; les taxis étant hors de prix. Il n'est ainsi pas rare de croiser des guerriers tombés au combat affalés sur les bancs des stations. Décuvant bruyamment, la plupart passeront directement par la case bureau le lendemain. Si un accident de nature gastrique il survient, le konbini le plus proche est amplement fourni en chemises blanches de plusieurs tailles. Les plus affectés peuvent même y trouver diverses concoctions aux noms improbables guérissant les gueules de bois. De ce fait, Le système est parfaitement huilé pour que ces sorties n'empêchent pas le coeur de l'activité du salary man: un présentéisme au travail paré à toute épreuve.

19 octobre 2017