サラリーマン

Salarymen

“Le clou qui dépasse appelle le marteau”

Chemises blanches et pantalons anthracites les salarymen forment un groupe homogène et compact remplissant l’intérieur des métros. Dans les point névralgiques de la métropole, ils se déversent dans la rue en rangs ordonnés, prêts à affronter leur journée de labeur. Ils marchent mécaniquement vers leur destination le visage dénué d'expression.

“Le clou qui dépasse appelle le marteau”

Le lycéen porte l’uniforme, de manière moins évidente le salaryman le porte aussi. Après des années à endurer des examens de toute sorte pour entrer dans une université de renom, l’arrivée dans le monde du travail marque le départ d’un nouveau chemin de croix. Les nuits blanches passées à se bourrer le crâne laissent la place aux heures supplémentaires sans fin. Une hiérarchie verticale hautement stratifiée succède à l'autorité de l'enseignant.

“Le clou qui dépasse appelle le marteau”

我慢
gaman

Le terme désigne le déni de soi, la persévérance et la capacité à endurer la souffrance sans plaintes ni gémissements. Ce concept est érigé en tant que vertu suprême et nombreuses sont les âmes sacrifiées sur son autel. Refuser la pile de travail que le son supérieur dépose sur sa table est contraire à tout ce qu’elle représente. On pourrait y percevoir de la simple soumission à l'autorité. Le phénomène est cependant plus subtil. L'insubordination légère rarement à un châtiment immédiat; le bourreau peut en effet tout simplement trouver une autre victime sur lequel écraser sa massue bureaucratique. Crac! en moins de quelques secondes la victime voit sa pile de travail doubler de taille. C'est peu dire donc, d'affirmer que personne ne souhaite infliger ce sort à autrui. Du coup, Les horaires interminables nippons sont le plus souvent dûs à une pression sociale écrasante plutôt qu'à la tyrannie de cadres peu scrupuleux.

"Le clou qui dépasse appelle le marteau"

Dans ces conditions, il ne faut pas s'étonner que le karōshi—la mort par surménage—existe. Relativement parlant, les cas de karōshi sont plutôt rares. leur potentiel choc est tel par contre, qu'un unique reportage est suffisant pour déchainer l'hystérie médiatique. Conscient que ces nouvelles donnent rarement une bonne image du pays, le gouvernement Japonais essaye dernièrement de créer des mesures pour endiguer le phénomène. On compte parmi elles le Premium Friday. Derrière cet anglicisme dont seul les japonais ont l'art, se cache une pratique commune en Occident; partir du bureau plus tôt le vendredi. Mais attention, le Premium Friday ne s'applique que le dernier vendredi du mois; (il ne faut pas pousser le bouchon trop loin non plus!). Ce jour correspondant à la journée de paye, on espère ainsi pousser à la consommation (quelle aubaine pour la sacro-sainte croissance économique!) et ménager les employés. Inutile de dire que le Premium Friday n'est quasiment jamais mis en place. Il aura probablement valu quelque reconnaissance au fonctionnaire qu'il la si bien nommé…

"Le clou qui dépasse appelle le marteau"

A première vue, il peut être difficile de comprendre l'origine de cette culture du travail. Au delà du confucianisme qui caractérise l'Asie de l'Est, la géologie du pays devrait nous apporter un élément de réponse. Le Japon est par essence un pays inhospitalier, Les roches escarpées montagneuses forment la majeure partie du paysage. Les typhons et les tremblements de terre menacent constamment toute construction humaine. Dans cet archipel tulmutueux rien n’est acquis de manière durable.

"Le clou qui dépasse appelle le marteau"

A quoi bon se plaindre? La nature froide et cruelle n’en a que faire des gémissements incessants de ces singes chauves insolents que sont les êtres humains. Si elle veut fracasser leurs misérables édifices elle le fera sans aucun remord. Adopter un certain fatalisme face à ces forces indomptables est une attitude compréhensible; saine même. Malgré nos prouesses technologiques, nous sommes encore à la merci des colères divines les plus féroces.

"Le clou qui dépasse appelle le marteau"

Cette attitude devient problématique par contre, lorsqu'elle est utilisée pour supporter des abus, bien humains eux. Certains tyrans ont besoin d'être détrônés, certains problèmes confrontés, certaines habitudes secouées. Le stoicisme ne demeure qu'une vertu qu'à condition qu'il ne soit pas perverti dans un futile masochisme.

"Le clou qui dépasse appelle le marteau"

7 octobre 2017